Quand
Claire quitta la boutique, elle fut surprise par la lumière. La nuit
était tombée. Elle avait du traîner plus longtemps que prévu...
Quelle heure était-il au juste? Elle retroussa sa manche pour jeter
un coup d’œil à sa montre. L'air du soir la fit frissonner. Elle
avait dix minutes pour arriver, ça irait, mais elle n'avait plus le
temps de flâner maintenant. Elle remonta la fermeture de sa veste,
ajusta la bandoulière de son sac sur son épaule et partit d'un pas
décidé dans les rues piétonnes.
A
la terrasse des cafés, les gens se
rassemblaient. Des éclats de voix et des rires bruyants. Des
vœux échangés dans un joyeux tintement de verres. « Bonne
santé ! » L'apéro d'un vendredi soir. Ce moment où, la
semaine de travail finie, les amis se retrouvent.
Elle
se faufila au milieu d'un groupe de
jeunes hommes, l'ordinateur en bandoulière, le col de chemise
ouvert, la cravate desserrée, une cigarette ou
un demi à la main. En les voyant, elle se dit qu'elle aimerait
à nouveau avoir trente ans. Ils avaient l'air si insouciants,
semblant passer sans rupture de la routine stricte du boulot à la
détente du week-end. Elle ne s'en sentait plus capable. La tension
qu'elle ressentait entre les omoplates s'en irait lentement dans la
soirée, elle le savait. Mais elle avait peur de s'écrouler de
fatigue si elle se laissait aller à la détente.
Elle
secoua la tête comme pour chasser cette idée. Allez, ce n'était
pas le moment de baisser la garde. Après tout, ça faisait plusieurs
mois qu'elle attendait et redoutait le rendez-vous de ce soir.
Renouer avec une amie perdue de vue, enfin dont elle s'était
éloignée après une dispute idiote... Pardonner, se faire
pardonner. Passer outre le ressentiment, la frustration, l'agacement.
Retrouver l’insouciance, la décontraction simple que procure la
compagnie familière de ceux qu'on aime.
Elle
arrivait au restaurant maintenant. Elle aimerait être la première
arrivée, se donner le temps de s'installer dans le lieu,
physiquement et mentalement. Décidément, elle appréhendait
ce rendez-vous. Elle fit volte-face. Deux femmes se trouvaient
juste derrière elle, l'empêchant de partir en courant. Elle
s'excusa, respira un grand coup et poussa la porte du restaurant.
Le
serveur l'installa rapidement. La petite salle était déjà bien
remplie. Séverine n'était pas encore arrivée. Tant mieux ! Elle
sentit ses joues la brûler. Enlever son pull. Rajuster son
chemisier. Se calmer. Un petit coup d’œil dans la vitre. Ramener
une mèche de cheveux derrière son oreille. Sourire à son reflet.
Respirer. Lentement. Se calmer. Elle n'allait quand même pas se
mettre dans cet état !… C'était la chaleur qui lui
empourprait les joues et lui faisait battre le cœur, non ? Elle
se pencha pour farfouiller dans son sac à main, à la recherche d'un
miroir.
Quand
Claire releva les yeux, Séverine était là. Elle se leva pour la
saluer et faillit renverser la table dans sa précipitation. Elle
regarda son amie s'installer, plier délicatement son manteau,
dérouler les trois tours de son écharpe avec des gestes gracieux.
La
conversation commença avec les banalités d'usage. Le temps, trop
doux pour la saison, le boulot, la décoration du restaurant.
Lentement, se réinstaller dans la familiarité de leurs échanges.
Elles furent interrompues par le serveur venu prendre la commande.
Claire ne put s'empêcher de flatter le jeune homme. Séverine lui en
fit la remarque quand elle recommença alors que le serveur
remplissait leurs verres de vin. Elle partit d'un grand éclat de
rire : « A la nôtre ! »
La
gêne et l’appréhension qu'elle avait ressenties plus tôt lui
semblaient lointaines, presque incongrues. La conversation reprit
de plus belle, alimentée par les ragots d'usage au sujet d'une de
leurs connaissances communes.
L'intime
l'emportait maintenant. Les enfants, les maris, les amants, les
hommes du passé, ceux à venir. Chaque anecdote longuement racontée
par l'une et commentée par l'autre. Le serveur revint avec un
dessert qu'elles avaient décidé de partager. Elle se renversa en
arrière et contempla la table, un sourire sur les lèvres. Comme
elle avait eu raison de venir après tout ! Quand elle songeait
qu'elle se sentait si tendue à peine deux heures auparavant. Et
maintenant, elles se disputaient la dernière bouchée de tarte en
riant comme des gamines !
En
ressortant du restaurant, elle sentit une courbature discrète en
haut de son dos. La bonne soirée n'avait pas suffi. La fatigue de la
semaine était encore là, se dit-elle dans un sourire.
Quand
elle quitta Séverine, elle fut heureuse de se retrouver seule pour
savourer le bien-être qui l'envahissait. Le contentement découlant
de ces retrouvailles réussies, la perspective d'une bonne nuit de
sommeil, la possibilité d'une grasse matinée.
En
rentrant chez elle, Claire sentit d'un coup la fatigue la rattraper.
Avant d'aller se coucher, elle voulut boire un verre d'eau. Elle constata, dépitée, qu'elle n'avait pas fait la vaisselle avant de partir ce matin. Elle n'aimerait pas se réveiller et commencer son week-end avec cette corvée. Allez, courage, encore un effort. Elle allait s'en débarrasser tout de suite.
Avant d'aller se coucher, elle voulut boire un verre d'eau. Elle constata, dépitée, qu'elle n'avait pas fait la vaisselle avant de partir ce matin. Elle n'aimerait pas se réveiller et commencer son week-end avec cette corvée. Allez, courage, encore un effort. Elle allait s'en débarrasser tout de suite.
Machinalement,
elle alluma la radio, autant faire la vaisselle en musique.
En
entendant la tension dans la voix de la journaliste, elle ne comprit
pas tout de suite.
Les
informations ? Mais quelle heure était-il pour qu'il y ait un
flash ?
Elle
ne comprenait pas. Quelqu'un témoignait, des sanglots dans la voix.
Elle regarda l'horloge numérique.
Elle regarda l'horloge numérique.
23 heures 30, le vendredi 13
novembre 2015.
Comme d'habitude... je suis fan ! ;o)
ReplyDeletePS: C'est autobiographique ?!
Oui, en partie... C'est bien en faisant la vaisselle tard le soir que j'ai appris ces attentats (et que je suis restée à écouter la radio une partie de la nuit...)
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