Monday, February 17, 2014

To infinity and beyond!


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I often wonder why I read other blogs.
Some stories are so intimate, I feel like I'm reading somebody's diary or spying on them.  
Some others are so meaningless... It often drives me crazy to see that some people worry about such little details of their lives when others need to write in order not to let go.

I wonder why you read my blog.
I know why I write.
Some things are so hard to tell, so difficult to recieve. It seems easier to share with total strangers. All there is to do is to send some words in the void...
To infinity and beyond!

Tonight I don't want to play anymore.
I want a friend who could hold me tight in a warm and endless embrace.



Sunday, February 2, 2014

À l'école de la vie


Septembre 1990, Paris, quartier de la Goutte d'Or.
Tu viens d'être jetée dans la classe par une femme en colère. Tu es la première arrivée.

C'est le premier jour de classe et c'est ma première rentrée en tant que titulaire. Le sentiment de panique de ce premier matin est encore là. J'attends la vague des arrivées, je sais que je vais vite être entraînée dans un rythme de dingue. Bref, c'est la rentré à l'école maternelle.

Je m'accroupis vers toi et je te demande ton nom. Tout ce que je vois c'est deux grands yeux, ton regard croise à peine le mien. Je remarque tes boucles emmêlées, pas coiffées. Tu n'as pas du être débarbouillée non plus, mais tu portes des beaux habits, visiblement tous neufs.
J'essaye de savoir qui tu es, où est l'adulte qui t'a accompagnée. J'ose te demander où est ta maman. Tu me montres du doigt la femme qui cajole un garçon de l'autre côté du couloir. Elle semble douce et câline avec lui. Je te demande si c'est ton frère. Je dois me contenter d'un imperceptible hochement de tête en guise d’acquiescement.

Tu restes près de moi. Tu es si proche que je sens la chaleur de ton petit corps le long de ma jambe. Mais tu ne me touches pas. Je ne sais toujours pas ton nom.
Je continue à accueillir de mon mieux tes camarades.
27 élèves de moyenne et grande section, ils ont entre quatre et cinq ans. 18 nationalités. Quatre des cinq continents sont représentés.
La classe bruisse, frémit. C'est un tourbillon d'enfants, de parents, d'informations, de cris, de rires et de pleurs en tous genres. Puis les adultes se retirent peu à peu, les enfants papillonnent moins, prennent tranquillement leurs aises. Les couloirs sont moins bruyants, on n'entend plus les cris des petits dont c'est la première rentrée, juste des pleurs, enfin, un tout petit peu... L'école s’apaise. On va pouvoir commencer.

C'est ce moment que choisit ta mère pour se présenter à la porte de la classe. Le visage dur, fermé. Je revois la femme en colère que j'avais presque déjà oubliée. En un seul souffle, elle me dit que tu vas partir à 10 H avec un taxi qui te conduira à l'hôpital de jour parce que tu es "mauvaise".
Elle repart en tournant les talons sans que je n'aie trouvé grand chose à lui répondre. Je ne la verrai que en colère. Pendant toute l'année scolaire.
Tu es restée à mon côté. Je ne sais toujours pas ton nom, enfin, je l'ai déduit de ma liste, mais personne ne t'a nommée.

Ta mère partie, tu te diriges tout droit vers un pan de mur vide et tu te tapes la tête contre le mur.
C'est ta première crise de l’année, ce ne sera pas la dernière.
Toujours le même schéma. Un débordement verbal, l'agressivité de ta mère.
Le mur.
Le son de ta tête qui cogne.

J'apprendrai vite à te prendre dans un petit groupe à l'accueil. Tu arrives seule presque chaque matin, alors j'en profite pour m'asseoir avec toi pendant que ta mère accompagne ton frère dans la classe en face.
Quand elle vient dans la classe, je reste avec toi. Tu ne la regardes même pas. Toujours la même agressivité. Elle parle de toi comme de la personne responsable de tous ses malheurs, puis ayant "vidé son sac", elle s'en retourne.
Heureusement, elle se lasse. Ne vient plus. Ou alors ne dit rien ou que le minimum sur les changements d'horaires de l'hôpital, le quotidien...
Tes crises s'espacent.

L'année avance. Le travail avance. Le suivi avec l'équipe hospitalière qui s'occupe de toi...
J'apprends à connaître ton histoire, ta famille. Tu es la dernière d'une fratrie de quatre. Deux sœurs aînées, adolescentes qui t'accompagnent parfois, ton frère, un "grand" de cinq ans, à peine 12 mois de plus que toi. Ton père est malade, il ne travaille plus. Il reste complètement absent. Ta famille est aidée par les services sociaux et la protection de l'enfance.

Le travail avec toi avance aussi. Tu avances à ton rythme dans tes apprentissages de la moyenne section.
Je t'ai enfin entendue parler, après Noël. Pas à moi, ni à un camarade. Non. Mais tu parles aux poupées de la classe.

1991
L'année a commencé avec la guerre du Golfe. En janvier, je fais classe le jour et à 18h, avec les collègues, on part manifester contre l'implication de la France dans cette guerre. La nuit, le froid, les gaz lacrymogènes, les courses poursuites pour échapper aux CRS, les soirées passées à refaire le monde...
L'école est un lieu de paix. J'avance dans mon amour de ce métier. J'apprends. De tous ces enfants des quatre coins du monde, j'apprends la vie.

Printemps 1991
Ma classe est au deuxième étage, au fond du couloir.
Ce matin-là, j'entends une femme hurler depuis la porte d'entrée, puis dans la coursive du rez-de-chaussée, dans la cage d'escalier. Quand la voix arrive dans le couloir, je distingue enfin ce qu'elle crie : "Je vais lui couper les couilles! Je vais lui couper les couilles!"
Ta mère déboule dans la classe, elle est suivie du concierge et de la directrice, ainsi que d'une maman déléguée de parents. Tout le monde à l'air de vouloir s'interposer. Il y a du bruit, de la confusion. Elle continue à hurler. Mais qui veut-elle donc émasculer?
Je ne comprends rien. Je ne sais pas comment, tout à coup, elle n'est plus là, les autres personnes non plus. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé.
Et je ne sais pas où tu es.

La suite m'apportera les réponses. Ta mère s'explique dans le bureau de la directrice (elle ne s'est calmée que sous la menace de faire appel à la police).
La veille, ton frère, le seul homme valide de ta famille aux yeux de ta mère, ton frère de cinq ans, aurait fait une chute de la balançoire de la cour pendant que j'assurais la surveillance de la récréation. Il aurait été grièvement blessé aux testicules, sans que je ne daigne m'occuper de lui, ni que je ne m'aperçoive de quoi que se soit. Il est à l'hôpital où on doit l'opérer.
Son homme, son seul homme est émasculé, elle n'aura pas de descendance, elle veut se venger.
J'ai toujours pas compris... À qui veut-elle couper les couilles?
Ben, à mon mari, bien sûr, pour que moi non plus je n'aie pas de descendance...

Quand enfin je remonte dans ma classe, je te vois. Tu étais là?
Tu viens vers moi à la récréation et pour la première fois de l'année scolaire, tu t'adresses à moi.
Tu m'expliques avec force détails comment ton frère s'est blessé en chahutant sur les lits superposés à la maison, comment le docteur est venu, que non, ton frère n'était pas à l'hôpital, mais à la maison avec ton papa...

Tu as commencé à parler, tu ne t'arrêteras plus.
Je te découvre un formidable sens de l'auto-dérision (à quatre ans!) et beaucoup d'humour. Tes crises n'ont pas disparu, mais sont de plus en plus rares.

Début d'été
Les récréations s'allongent, on est tellement bien dehors. Je suis assise et j'ai posé mes clés dans le creux de ma jupe.
Toi, tu joues plus loin, avec tes copines. C'est ta nouvelle conquête : aller vers les autres et partager leurs jeux. Tu t'es tellement épanouie que tu deviens même de plus en plus souvent une petite despote.
Aujourd'hui, ça ne loupe pas. La copine vient se plaindre que tu fais "la commandante".
Je te réprimande et te propose de retourner jouer, mais tu restes près de moi et je me demande pourquoi.
Te punis-tu?
Pas du tout. Tu fais la câline, la séductrice et tu joues avec les clés au creux de mes jambes.

- C'est tes clés, maîtresse?
- Oui.
- C'est la clé de ta maison?
- Non, c'est la clé de ma voiture.
- T'as une voiture à ton mari?
- Non, c'est ma voiture à moi.
- Tu conduis la voiture?
- Oui.
- Et ton mari, il veut?
- Oui, des fois, je conduis, des fois, c'est mon mari.
- Ma maman elle conduit pas. C'est mon papa. Elle dit que c'est que les papas.
- Qu'est-ce que tu en penses toi?
- ... Mon frère quand il sera grand, il aura une voiture pour conduire vite.
- Tu sais, quand tu seras grande, tu pourras conduire une voiture toi aussi si tu veux.

Ton sourire à ce moment-là, petite Meyriem, reste un des plus beaux cadeaux que j'ai reçu.



J'ai quitté la Goutte d'Or cet été-là.
Je pense souvent à ces enfants qui me furent confiés.
En ce moment où tellement de bêtises sont colportées sur l'école, j'ai eu envie de raconter cette histoire.
Mais je n'oublie pas les histoires des autres élèves de cette classe.

Catherine, 6 ans, enfant de Chine, qui travaillait avec ses parents, le soir, au restaurant familial et que je couchais chaque matin sur les coussins du coin bibliothèque où elle finissait sa nuit jusqu'à 11H20...

Aminata et Fanta, sœurs, mais on disait "cousines" (leur famille pensait que ça serait mal vu si on savait que le papa était polygame). Deux belles petites filles espiègles, toujours souriantes, même à 7h30 quand elles allaient à la corvée d'eau pour le squat, remplissant des bidons qu'elles portaient sur leur tête.
Vacances dans le pays d'origine de leur famille en avril (pour ne pas manquer l'école quand elles seraient au CP, c'était primordial pour leurs mamans qu'elles soient instruites).
Au retour, elles ne riaient plus, ne jouaient plus. On aurait dit deux chandelles qu'on a soufflées... Elles avaient été excisées.

Méhmet, Muhamad, Amara, Adama... Les garçons avaient leurs soucis aussi. Mais les filles subissaient une discrimination supplémentaire. Je ne suis pas sûre hélas, que ça ait changé.

Chaque jour depuis plus de 20 ans, j'enseigne à de futurs citoyens français les valeurs primordiales de respect, d'Égalité, de Fraternité et la Liberté.

J'espère juste que maintenant qu'ils sont adultes, parents à leur tour peut-être, ils ne se laissent pas séduire par les sirènes trompeuses de la bêtise et de la haine.